Il était si beau, même avec sa balafre causée par une morsure de chien dans l'enfance, que son physique racé et son corps de danseur auraient pu lui jouer des tours pendant sa fulgurante existence. Gaspard Ulliel aurait en effet pu se retrouver cantonné aux rôles de jeune éphèbe ou de joli fiancé de l'héroïne, sans pouvoir démontrer l'étendue de ses talents dramatiques. Mais sa force de caractère, son goût du risque et ses choix judicieux en ont décidé autrement.
Né en 1984 à Boulogne-Billancourt, Gaspard Thomas Ulliel est le fils de Christine Ulliel, styliste ayant travaillé avec la créatrice Martine Sitbon, et de Serge Ulliel, designer à qui l'on doit la ligne Dorotennis, créée au sein de la marque Dorothée Bis dans les années 80. Ce qui explique peut-être pourquoi il a façonné sa carrière comme une précieuse étoffe que l'on taille pour en confectionner une robe couture. Ou un bois noble qu'on sculpte en meuble original destiné à durer. Le jeune garçon commence très tôt, alors qu'il est encore au collège, à attraper la lumière. Il débute par la télévision, notamment aux côtés de Sandrine Bonnaire.
Après quelques stages au Cours Florent et des études de cinéma à l'université de Saint-Denis, on le voit dans un court-métrage de Marina de Van (Alias en 1998), le film culte Le Pacte des loups (2001) de Christophe Gans ou encore la comédie à succès Embrassez qui vous voudrez (2002) de Michel Blanc dans laquelle l'apprenti acteur joue un garçon découvrant l'amour. Cette incursion romantique lui vaut d'être nommé pour la première fois aux César dans la catégorie "meilleur espoir masculin."
Mais la véritable révélation a lieu en 2003. Gaspard Ulliel a 19 ans et tourne avec une présence sauvage aux côtés d'Emmanuelle Béart dans Les Égarés d’André Téchiné, qui se déroule pendant la Seconde guerre mondiale. Un an plus tard, on le retrouve dans un autre film de guerre (la Première cette fois) : Un long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet. Il y joue le rôle d'un soldat amoureux si magnétique que sa performance est récompensée par un César du "meilleur espoir masculin" en 2005.
Après cette prestation remarquée, tout le monde se l'arrache. Gaspard Ulliel est même sollicité par Gus Van Sant pour apparaître dans le film à sketches Paris, je t’aime (2006). L'acteur décline ensuite deux projets proposés par l'icône du cinéma indépendant américain. Ce qui n'empêche pas l'égérie du parfum Bleu de Chanel de revenir dans d'autres univers forts comme ceux de Bertrand Tavernier, d'Emmanuel Mouret, de Guillaume Nicloux, de Benoît Jacquot ou de Justine Triet.
En 2014, c'est le coup d'éclat. L'artiste incarne avec virtuosité un tourmenté et fiévreux Yves Saint Laurent dans le biopic hypnotique et très musical de Bertrand Bonello. Celui qui interpréta quelques années plus tôt le jeune Hannibal Lecter se révèle totalement dans ce rôle sombre et sensuel. Gaspard Ulliel semblait capable de tout jouer, du héros de comédie à celui de drame expérimental ou de thriller. Mais il excellait particulièrement dans les œuvres névrosées, déroutantes et fascinantes.
C'est dans cette veine qu'il brille encore en 2016. Dans Juste la fin du monde de Xavier Dolan, l'acteur entre dans la peau d'un écrivain qui revient dans son village natal pour voir sa famille après douze années d’absence et leur annoncer sa mort prochaine. Un rôle épique qui lui permet de décrocher un an plus tard le César du "meilleur acteur." "Et qu'est-ce qu'ils feront quand je leur dirai que je m'en vais, que je ne reviendrai pas, de manière définitive ?" s'interroge Louis, le personnage incarné par Gaspard Ulliel dans ce drame bouleversant. Et cela semble aujourd'hui étrangement prémonitoire.
Après cette rencontre à l'alchimie palpable avec Xavier Dolan, rien ne semblait pouvoir arrêter l'acteur français qui avait même séduit l'étranger, à l'instar de Marion Cotillard et Léa Seydoux, ses partenaires à l'écran. On devrait ainsi revoir sa gueule d'ange émouvante et sa silhouette élégante dans la série Marvel Moon Knight, qui sera diffusée sur Disney+ le 30 mars 2022. Une dernière chance de contempler la stupéfiante aura de l'un des meilleurs acteurs de sa génération, qui était aussi, selon ses proches, quelqu'un de profondément bienveillant et lumineux.
