14


Commandez-le
Numéro
02 “Un écrivain, c’est Dieu, il pense qu’il peut tout contrôler...” Souvenir d’une rencontre avec Frédéric Beigbeder

“Un écrivain, c’est Dieu, il pense qu’il peut tout contrôler...” Souvenir d’une rencontre avec Frédéric Beigbeder

CULTURE

Après l’adaptation un peu frimeuse par Jan Kounen de 99 francs, Frédéric Beigbeder s’est lancé tout seul dans l’aventure de L’amour dure trois ans. Aujourd’hui c’est avec Une vie sans fin (Grasset) que la star de la culture, des médias et de la nuit made in France défraie la chronique. Retour sur une interview culte de l’intenable Frederic Beigbeder.

 

“Un écrivain, c’est Dieu, il pense qu’il peut tout contrôler...” Souvenir d’une rencontre avec Frédéric Beigbeder “Un écrivain, c’est Dieu, il pense qu’il peut tout contrôler...” Souvenir d’une rencontre avec Frédéric Beigbeder

Après l’adaptation un peu frimeuse par Jan Kounen de 99 francs, Frédéric Beigbeder s’est lancé tout seul dans l’aventure de L’amour dure trois ans. Son troisième roman, publié en 1997, devient donc son premier film en janvier 2012. Une comédie d’amour moderne dans le Paris d’aujourd’hui, illuminée par Gaspard Proust (Marc Marronnier, donc) et Louise Bourgoin, celle qui lui fera peut-être croire à l’amour. Aujourd’hui c’est avec Une vie sans fin (Grasset) que la star de la culture, des médias et de la nuit made in France défraie la chronique. Retour sur une interview culte de l’intenable Frederic Beigbeder.

 

Numéro: De plus en plus d’actrices ou d’écrivains veulent devenir cinéastes.On se demande toujours s’il s’agit d’un caprice. On se pose donc la question vous concernant !

Frédéric Beigbeder: Dans l’histoire du cinéma, beaucoup d’écrivains ont fait des films importants. Je pense à Guitry, Pagnol, Cocteau. Mais c’est vrai que récemment, on s’est mis à proposer un peu à n’importe qui de faire des films. Donc, je suis d’accord avec vous, je suis moi-même exaspéré quand je vois Tartempion se mettre au cinéma, comme si on pouvait s’improviser réalisateur. On me l’avait proposé auparavant, et je répondais à chaque fois que je n’étais ni Philippe Claudel, ni Eric-Emmanuel Schmitt, ni Alexandre Jardin… Il y a aussi les films d’animateurs télé. On se souvient du film de Patrick Sébastien, ou plutôt, on ne s’en souvient pas. Par amour du septième art, je ne voulais pas m’inscrire dans cette injustice qui fait que dès qu’on a un peu de notoriété, que l’on soit comédienne, animateur ou humoriste, on vous propose de réaliser un film. Enfin, j’ai fini par me dire : “C’est dégueulasse, mais je vais en profiter pour m’amuser.” 

 

La littérature vous ennuyait ?

Je vais sûrement me remettre à écrire un roman qui sera publié dans quelques années, et j’ai l’impression de connaître cette sensation à l’avance. Romain Gary, à un moment de sa vie, tournait un peu en rond et a publié sous un pseudonyme. Si j’étais courageux, c’est ce que je ferais. Mais réaliser un film, c’est aussi courageux, voire dangereux. 

 

Même s’il fait preuve de singularité, L’amour dure trois ans s’inscrivait dans une veine souvent peu respectée: la comédie romantique. Vous assumez ?

Je n’aime pas l’expression “comédie romantique” car on peut tout y mettre. On peut dire qu’Annie Hall en est une, mais c’est beaucoup plus que cela. Quand on me dit “comédie romantique”, j’ai tendance à penser à Quatre mariages et un enterrement ou à Quand Harry rencontre Sally… des films que j’aime bien. Mais est-ce que The Shop Around the Corner est une comédie romantique? L’étiquette me gêne un peu. Mon roman, L’amour dure trois ans, dont le film est tiré, se présente comme le carnet intimiste d’un dépressif qui vient de divorcer, sans trame. Je notais des aphorismes aigris au jour le jour sur l’impossibilité de l’amour durable. J’ai décidé de tout trahir et de recommencer à zéro pour qu’il y ait une histoire et des personnages, tout en gardant ces questions-là qui, à mon avis, n’ont jamais été aussi actuelles. Comment faire l’amour avec la même personne toute sa vie ? 

 

C’est perdu d’avance, selon vous ?

Non. Simplement, je suis un optimiste lucide. Tomber amoureux, c’est déjà faire un pari absurde, c’est beau. Tout ce qui est impossible est beau. 

 

En voyant le film, on ne ressent aucun désir de respectabilité culturelle de votre part, mais beaucoup de fraîcheur. Quel a été votre approche ?

Quand il réalisait Faisons un rêve, Sacha Guitry adaptait sa propre pièce, mais il inventait la voix off, par exemple. A ma toute petite échelle, je possède déjà un univers que je développe depuis trente ans ; je devais trouver des solutions visuelles pour aller avec. Je n’ai pas essayé de croire que j’étais cinéaste ou metteur en scène. Je préfère dire capteur de talents. Ou spectateur. Sur l’affiche, on devrait mettre la liste des acteurs et puis : “Spectateur : Frédéric Beigbeder.” Pendant le tournage, vous êtes devant une petite télé, avec un casque, spectateur d’un bordel que vous avez organisé. Je me suis beaucoup amusé, sans prétention de réinventer le septième art. 

 

Godard disait que seules les adaptations de mauvais livres donnent de bons films. Qu’en pensez-vous ?

[Rires.] L’avantage de mon livre, c’est qu’il ne s’y passe quasiment rien : un trentenaire divorcé tombe amoureux et a des doutes. Et là encore, je développe. Donc on pourrait dire que L’amour dure trois ans est un mauvais roman. Je pense que c’est un de mes meilleurs livres mais que c’est un mauvais roman. On n’y trouve pas une colonne vertébrale avec des rebondissements. En revanche, il y a une idée assez simple : dans le monde actuel, tout est organisé pour détruire le couple. Elle est peut-être fausse, mais c’est une idée ! 

 

 

“Un écrivain, c’est Dieu, il pense qu’il peut tout contrôler.”

 

Frederic Beigbeder, “Une vie sans fin” (Grasset) Frederic Beigbeder, “Une vie sans fin” (Grasset)
Frederic Beigbeder, “Une vie sans fin” (Grasset)

On dit souvent qu’un cinéaste met tout dans un premier film, son intimité et ses idées. C’était le cas pour le votre ?

Je n’ai rien gardé en réserve. Depuis le début, je l’ai réalisé en pensant qu’il s’agissait du premier et du dernier. Le reste ne dépend pas de moi. Il faut un public pour continuer. En littérature, on peut écrire beaucoup de romans en n’ayant pas de succès.

 

Ce n’est pas votre cas.

Mes quatre premiers romans ne se vendaient pas, mais ma trajectoire est considérée comme rapide en termes de succès. Certains publient toute leur vie des livres qui ne se vendent pas, car imprimer un livre ne coûte pas cher. En revanche, si un film n’a pas d’écho, vous êtes fini. 

 

Comment est né votre rapport au cinéma ?

Moi, au départ, c’est plus les livres ! [Rires.] Mais comme tous les gens de mon âge, je suis un peu cinéphile. J’allais au ciné-club de mon lycée où j’ai vu les classiques, ensuite ma mère m’emmenait voir des Woody Allen. J’habitais au-dessus d’un cinéma rue Monsieur-le-Prince, à Paris. Les gens de 40 ans ont grandi avec le cinéma. Aujourd’hui, je vois environ un film par jour, j’aime aller à Deauville, au Festival de Cannes. Je me souviens avoir été particulièrement impressionné il y a 7 ans, The Artist, La guerre est déclarée, Melancholia, Polisse. Voir tous ces films de manière rapprochée galvanise et enlève la timidité. En même temps, je n’écris pas trois pages sur Melancholia alors que je le fais sur les livres. L’émission le Cercle, que j’animais, invitait de vrais critiques. Je les accueillais et les écoutais comme dans un dîner avec des gens érudits qui se disputent. A force d’être le témoin de leurs joutes, le cinéma a commencé à me titiller autrement. En tournant L’amour dure trois ans, j’ai compris que je me posais les mêmes questions que les critiques qui décortiquaient un plan dans mon émission. Le cinéma impose des discussions interminables et des engueulades. 

 

Le cinéma se fabrique à cinquante sur un plateau, alors que la littérature est un art solitaire.

Je l’ai tout de suite compris. Un écrivain, c’est Dieu, il pense qu’il peut tout contrôler. Moi, je me suis dit : “Quand j’écris un livre, j’ai un seul cerveau, là, j’en ai cinquante, profitons-en !” L’autre différence que j’ai trouvée entre la pratique de la littérature et celle du cinéma, c’est que quand on écrit un roman, on a les yeux ouverts, on regarde autour de soi pour choper les gestes et les dialogues, espionner. Il y a un éblouissement de ma part à regarder les acteurs. C’est peut-être cela, l’effet du cinéma sur moi. Au moment de commencer L’amour dure trois ans, j’avais écrit Premier bilan après l’apocalypse, un livre sur la littérature, très pessimiste ; j’avais envie de retrouver un émerveillement un peu naïf. Depuis le départ j’ai eu cette obsession : pourquoi les comédies américaines sont-elles belles et les comédies françaises sont-elles moches ? Il n’y a pas de raison. J’ai passé mon temps à demander aux acteurs de porter des costumes-cravates. Au départ, JoeyStarr ne voulait pas, maintenant il s’habille tout le temps comme ça ! Cela fait partie du caprice. Je ne vais pas au cinéma pour voir des gens hideux éructer des insanités, même si ça peut m’intéresser.

 

Quel est votre but artistique ?

J’ai envie de redonner vie à une tradition française un peu chic, même si le mot chic lui-même est démodé ! Dans mon enfance, les films que je préférais montraient de très jolies femmes, avec du rouge à lèvres, un fume-cigarette, disant des choses brillantes. Lauren Bacall dans Le Grand Sommeil, Audrey Hepburn dans Diamants sur canapé… J’ai toujours gardé cette nostalgie. On va quand même au cinéma pour ça. Cela n’empêche pas d’aimer les frères Dardenne, mais de temps en temps, un peu de panache fait du bien.