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Numéro
10 Johannes Vermeer, Rijksmuseum, exposition Amsterdam, perle

Johannes Vermeer, un peintre obsédé par les perles exposé à Amsterdam

Art

Alors que le Rijksmuseum d'Amsterdam ouvre ce vendredi 10 février 2023 la plus grande exposition jamais consacrée au peintre hollandais Johannes Vermeer, cet événement majeur offre l'occasion de se plonger dans l'une des obsessions du maître de Delft : les perles.

  • Johannes Vermeer, "La jeune fille à la perle", 1664–67. Mauritshuis, The Hague. Bequest of Arnoldus Andries des Tombe, The Hague

    Johannes Vermeer, "La jeune fille à la perle", 1664–67. Mauritshuis, The Hague. Bequest of Arnoldus Andries des Tombe, The Hague Johannes Vermeer, "La jeune fille à la perle", 1664–67. Mauritshuis, The Hague. Bequest of Arnoldus Andries des Tombe, The Hague
  • Détail de "La jeune fille à la perle", Johannes Vermeer, 1664–67. Mauritshuis, The Hague. Bequest of Arnoldus Andries des Tombe, The Hague

    Détail de "La jeune fille à la perle", Johannes Vermeer, 1664–67. Mauritshuis, The Hague. Bequest of Arnoldus Andries des Tombe, The Hague Détail de "La jeune fille à la perle", Johannes Vermeer, 1664–67. Mauritshuis, The Hague. Bequest of Arnoldus Andries des Tombe, The Hague

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Près de 40 ans d’activité artistique et seulement quelques 37 œuvres réalisées de sa main : la sensibilité et l'attention au détail de Johannes Vermeer ont contribué à la célébrité de nombre de ses toiles, aussi rares que minutieuses. Né en 1632 et disparu en 1675, celui que l’on surnomme le “maître” – pour sa maîtrise – ou le “sphinx” de Delft – pour les énigmes qui entourent sa vie – a marqué au fer rouge l’histoire de l’art hollandaise, et occidentale. Peu reconnu de son vivant et oublié pendant deux siècles après sa mort, le talent du peintre est redécouvert au 19e siècle en même temps que ses tableaux, qui fascinent les spécialistes et collectionneurs de l'époque. Des ses portraits et peinture de genre comme La Laitière (1658-1660) à L’Art de la peinture (1666) en passant, évidemment, par La Jeune fille à la perle (1665), les compositions de Johannes Vermeer témoignent de la précision infinie de son pinceau. L'artiste s’applique en effet à détailler chaque rayon de lumière et chaque ombre, précise chaque poil de fourrure et pli de velours, représente chaque reflet nacré des bijoux en perle…

 

Depuis sa redécouverte, peu de musées ont réussi à rassembler la trentaine de toiles de Johannes Vermeer, éparpillées dans les collections les plus prestigieuses du monde (Londres, New York, Paris, Berlin, Édimbourg, Washington…).  Et, si le Mauritshuis de La Haye et le Louvre s’y sont respectivement essayés en 1996 et 2017, le premier n’en a réunies que 23 et 12 pour le second. Ce vendredi 10 février, le Rijksmuseum d’Amsterdam dépasse ces records en ouvrant la plus grande exposition consacrée au peintre, riche de 28 toiles sur les 37 qui lui sont attribuées à ce jour, soit environ 80% de sa production. Guidée par l’écrivain britannique Stephen Fry, le musée néerlandais propose parallèlement sur son site internet une plongée dans l’œuvre de Vermeer au travers de ses grandes thématiques – les ruelles de Delft, les intérieurs néerlandais, les parures et vêtements luxueux, la lumière du jour… Et les perles, véritable obsession picturale du peintre qui essayait, à travers leur représentation, de transmettre le plus précisément possibles les reflets de la lumière. Autour du cou de ses sujets, pendues à leurs oreilles ou encore posées sur une table, ces ornements étincèlent dans 18 de ses 37 toiles. Jusqu'à devenir l'attribut pour lequel le peintre devient incontournable auprès du grand public à travers son chef-d'œuvre connu dans le monde entier, La Jeune fille à la perle.

 

1. Vermeer : contenir tout un monde dans une perle

 

 

Surnommée “la Joconde du Nord”, le portrait de La Jeune fille à la perle que Johannes Vermeer réalise vers 1665 est l’une des peintures les plus célèbre de l’histoire de l’art. Pour la pose singulière, de côté, et le regard énigmatique du modèle, au centre de la toile et rehaussé par l’arrière-plan sombre ; pour ses lèvres rosées et brillantes, séduisantes à la limite de la morale mais aussi, et surtout, pour la perle pendue à son oreille gauche, qui donnera son titre au tableau. Mais s’il s’agissait pourtant d’une fausse ? À peine esquissée avec quelques coups de pinceaux, le pendant semble en effet bien trop gros pour être réel – et bien trop précieux pour appartenir à un simple peintre néerlandais, qui s'éteindra dans la misère une dizaine d’années après avoir réalisé ce tableau. Synonyme de richesse, la perle complète un ensemble tout aussi luxueux composé d'un turban bleu et d’un manteau jaune (symboles de la puissance commerciale des Province-Unies au 17e siècle, s’étendant jusque dans les terres musulmanes), sur lesquels viennent se poser un flot de lumières et d’ombres. Un souci du détail que Vermeer pousse à son paroxysme dans les touches de blanc apposées sur la boucle qui capture toute la lumière, reflétant le col de son vêtement mais aussi la lueur du jour, provenant probablement d’une fenêtre située à gauche de la jeune fille, fréquemment représentée par Vermeer dans ses toiles. Observée de plus près, la perle tend aussi vers des tons bruns qui semblent presque refléter l’intérieur de la pièce. Ainsi, par le biais d’un seul petit bijou très détaillé, le maître hollandais représente tout un monde et démontre sa capacité à transposer la lumière en peinture.

  • Johannes Vermeer, "La maîtresse et sa servante", vers 1665-67. The Frick Collection, New York. Photo: Joseph Coscia Jr

    Johannes Vermeer, "La maîtresse et sa servante", vers 1665-67. The Frick Collection, New York. Photo: Joseph Coscia Jr Johannes Vermeer, "La maîtresse et sa servante", vers 1665-67. The Frick Collection, New York. Photo: Joseph Coscia Jr
  • Détail de "La maîtresse et sa servante", Johannes Vermeer, vers 1665-67. The Frick Collection, New York. Photo: Joseph Coscia Jr

    Détail de "La maîtresse et sa servante", Johannes Vermeer, vers 1665-67. The Frick Collection, New York. Photo: Joseph Coscia Jr Détail de "La maîtresse et sa servante", Johannes Vermeer, vers 1665-67. The Frick Collection, New York. Photo: Joseph Coscia Jr
  • Détail de "La maîtresse et sa servante", Johannes Vermeer, vers 1665-67. The Frick Collection, New York. Photo: Joseph Coscia Jr

    Détail de "La maîtresse et sa servante", Johannes Vermeer, vers 1665-67. The Frick Collection, New York. Photo: Joseph Coscia Jr Détail de "La maîtresse et sa servante", Johannes Vermeer, vers 1665-67. The Frick Collection, New York. Photo: Joseph Coscia Jr
  • Détail de "La maîtresse et sa servante", Johannes Vermeer, vers 1665-67. The Frick Collection, New York. Photo: Joseph Coscia Jr

    Détail de "La maîtresse et sa servante", Johannes Vermeer, vers 1665-67. The Frick Collection, New York. Photo: Joseph Coscia Jr Détail de "La maîtresse et sa servante", Johannes Vermeer, vers 1665-67. The Frick Collection, New York. Photo: Joseph Coscia Jr

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2. Vermeer cacherait-il un habile faussaire ?

 

Au-delà de La Jeune fille à la perle, les doutes des spécialistes de l’œuvre de Johannes Vermeer quant à l’authenticité des bijoux représentés s’appliquent en réalité à la plupart des peintures de l’artiste. En particulier pour celle intitulée La maîtresse et sa servante (1665-1667), au sein de laquelle l'artiste représente une bourgeoise richement parée de perles, du cou jusqu’aux cheveux en passant par ses oreilles. Face à la rareté des perles, ramenées de régions tropicales très lointaines, posséder une telle parure au 17e siècle n’était possible que pour des familles aristocrates ou de très haut rang – ce qui n’était le cas ni de Vermeer, artisan-peintre qui a gagné peu d'argent de son vivant grâce à sa pratique, ni de ses modèles. Ainsi, la représentation de tels bijoux permettrait au peintre d’attirer de potentiels acquéreurs plus aisés, qui verraient un symbole de richesse dans ces attributs luxueux représentés dans ses portraits.

Si le maître de Delft a peint des perles de plusieurs tailles, celle qui pend aux oreilles de la femme assise à droite sur le tableau – “la maîtresse” – semble en effet bien trop imposante pour être vraie. Elle serait ainsi davantage le fruit de l’imagination de l’artiste que d’une huître perlière. La plupart des spécialistes de l’œuvre de Vermeer s’accordent alors sur l’idée que les bijoux donnés par ce dernier à ses modèles seraient en réalité fabriqués à partir de verre argenté ou d’étain poli. Autre argument avancé par certains : le reflet de la lumière sur une perle doit être mat, dû au couches de calcite du nacre. Celles représentées par le peintre hollandais semblent ainsi bien trop brillantes pour être authentiques...

  • Johannes Vermeer, "Jeune fille écrivant une lettre", 1664-67. National Gallery of Art, Washington. Gift of Harry Waldron Havemeyer and Horace Havemeyer Jr., in memory of their father, Horace Havemeyer

    Johannes Vermeer, "Jeune fille écrivant une lettre", 1664-67. National Gallery of Art, Washington. Gift of Harry Waldron Havemeyer and Horace Havemeyer Jr., in memory of their father, Horace Havemeyer Johannes Vermeer, "Jeune fille écrivant une lettre", 1664-67. National Gallery of Art, Washington. Gift of Harry Waldron Havemeyer and Horace Havemeyer Jr., in memory of their father, Horace Havemeyer
  • Détail de "Jeune fille écrivant une lettre", Johannes Vermeer, 1664-67. National Gallery of Art, Washington. Gift of Harry Waldron Havemeyer and Horace Havemeyer Jr., in memory of their father, Horace Havemeyer

    Détail de "Jeune fille écrivant une lettre", Johannes Vermeer, 1664-67. National Gallery of Art, Washington. Gift of Harry Waldron Havemeyer and Horace Havemeyer Jr., in memory of their father, Horace Havemeyer Détail de "Jeune fille écrivant une lettre", Johannes Vermeer, 1664-67. National Gallery of Art, Washington. Gift of Harry Waldron Havemeyer and Horace Havemeyer Jr., in memory of their father, Horace Havemeyer
  • Détail de "Jeune fille écrivant une lettre", Johannes Vermeer, 1664-67. National Gallery of Art, Washington. Gift of Harry Waldron Havemeyer and Horace Havemeyer Jr., in memory of their father, Horace Havemeyer

    Détail de "Jeune fille écrivant une lettre", Johannes Vermeer, 1664-67. National Gallery of Art, Washington. Gift of Harry Waldron Havemeyer and Horace Havemeyer Jr., in memory of their father, Horace Havemeyer Détail de "Jeune fille écrivant une lettre", Johannes Vermeer, 1664-67. National Gallery of Art, Washington. Gift of Harry Waldron Havemeyer and Horace Havemeyer Jr., in memory of their father, Horace Havemeyer
  • Détail de "Jeune fille écrivant une lettre", Johannes Vermeer, 1664-67. National Gallery of Art, Washington. Gift of Harry Waldron Havemeyer and Horace Havemeyer Jr., in memory of their father, Horace Havemeyer

    Détail de "Jeune fille écrivant une lettre", Johannes Vermeer, 1664-67. National Gallery of Art, Washington. Gift of Harry Waldron Havemeyer and Horace Havemeyer Jr., in memory of their father, Horace Havemeyer Détail de "Jeune fille écrivant une lettre", Johannes Vermeer, 1664-67. National Gallery of Art, Washington. Gift of Harry Waldron Havemeyer and Horace Havemeyer Jr., in memory of their father, Horace Havemeyer

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3. La perle, entre symbolique chrétienne et ostentation bourgeoise

 

Catalyseurs de lumière et synonymes de richesse, les perles de Johannes Vermeer renferment aussi toute une symbolique chrétienne, à l'époque indissociable de la création artistique. Dans l'histoire de la peinture hollandaise et, plus globalement, occidentale, elles évoquent en effet la pureté, l’amour et la chasteté par leur blancheur et leur netteté, tout comme elles peuvent renvoyer aux vanités du train de vie bourgeois des personnes qui les possèdent. À l’image de cette Jeune fille écrivant une lettre (1664-1667) que l’artiste installe au sein d’un riche intérieur, composé d’un tableau, d’un drap bleu luxueux recouvrant une table sur laquelle est posé, entre autres, un collier fait de perles assorties à celles que l’on retrouve aux oreilles du modèle, en format bien plus grand. Ainsi, malgré leur valeur morale, ces bijoux rappellent surtout la vanité de ceux qui les portent. Emmitouflée dans un manteau en velours jaune bordé de fourrure d’hermine, la jeune fille cumule sur elle les attributs de la richesse, à commencer par ses petits rubans satinés dans les cheveux ou encore la chaise sur laquelle elle est assise. Inspiré par le faste des mobiliers espagnols, ce siège avec un dossier en cuir noir gravé de losanges dorés et surmonté de deux têtes de lion était très populaire dans la Hollande du 17e siècle – Vermeer en possédait d’ailleurs quatre, comme en témoigne l’inventaire réalisé après sa mort en 1675. Au même titre que ce riche manteau jaune, propriété de sa femme Catharina, que l’on retrouve au sein de nombre de ses toiles. À l'image des perles, la fourrure bordant le vêtement n'était en vérité pas d'hermine mais plutôt de chat ou de souris… Grâce à l'imagination et au talent du peintre, l'illusion est parfaite.

 

 

“Vermeer”, du 10 février au 4 juin 2023 au Rijksmuseum, Amsterdam.