L’artiste de 35 ans a l’habitude de résumer son travail en une phrase : “Mon appareil photo est une arme.” Grande, une belle chevelure un rien stricte, humble, LaToya Ruby Frazier se singularise par son regard déterminé. Elle veut une existence qui ait du sens. Munie de son appareil argentique, elle part à la rencontre de victimes d’accidents industriels, comme à Flint (Michigan, États-Unis), où elle a passé cinq mois. Elle y a cotôyé des femmes souffrant de maladies liées à un empoisonnement des eaux par des entreprises peu soucieuses de l’environnement et des conséquences de leur politique industrielle.
L’artiste est née en Pennsylvanie à Braddock, ville sidérurgique sinistrée. Après des études de photographie à New York, où elle a notamment suivi les cours du prestigieux Whitney Museum, LaToya revient sur sa terre de prédilection non en conquérante, mais pour se faire le témoin d’une chute vertigineuse. Elle se sert de la ville où elle a grandi comme étendard pour dresser le portrait d’une Amérique désenchantée. Elle commence par pousser la porte de chez elle, et met en scène ses grands-parents et sa mère dans des portraits bouleversants, où elle ne manque pas d’apparaître. Son premier livre, The Notion of Family, inscrit la transmission entre générations dans une réalité économique, où la population est frappée par la misère, la maladie, la pollution… Son esthétique évoque le cinéma des années 50, la mise en scène est soignée, l’éclairage, sobre et efficace. Ses images montrent l’attente, à moins que ce ne soit précisément l’inverse, la fatalité. L’artiste, elle, continue la lutte avec son appareil.