Numéro : Vous avez grandi à Clichy-sous-Bois, à quel âge avez-vous rencontré Ladj Ly, le réalisateur des Misérables ?
Djebril Zonga : Nous devions avoir 15 ou 16 ans. Nous étions une toute petite troupe, Ladj faisait déjà partie du collectif Kourtrajmé, et nous nous rencontrions surtout à Clichy-sous-Bois et à Montfermeil, aux Bosquets. Je l’ai revu il y a quatre ans. J’avais déjà commencé à prendre des cours d’art dramatique et je lui ai dit : “Pense à moi si tu as un rôle.” Mais ce n’est pas à moi qu’il pensait au départ en préparant Les Misérables.
En effet, il a expliqué dans la presse qu’il vous trouvait trop beau pour ce rôle de flic.
Il m’a quand même laissé passer le casting et m’a choisi pour le court-métrage qui a été sélectionné aux César. Ensuite, quand il a développé le long-métrage, on lui a proposé de prendre des acteurs plus connus, mais il a refusé. Il a vraiment fait le film qu’il voulait faire.
“C’est génial d’avoir participé à ce film, qui est politique, qui est important… On le compare à La Haine, si on a la même longévité et si ce film marque l’époque, ce sera bien.”
Suivant la méthode de l’Actors Studio, vous êtes-vous imposé une préparation intense avant le long-métrage ?
Je me suis préparé avec un coach. Je voulais changer aussi physiquement, pas pour m’abîmer, mais pour montrer un visage différent de celui de l’ancien mannequin. Je me suis laissé pousser la barbe, j’ai pris du poids, j’ai changé ma coupe de cheveux.
Ladj Ly vous a donc laissé la liberté de créer votre personnage ?
Oui. On a tourné pendant six semaines. En sortant, j’étais assez déçu, j’avais le sentiment d’avoir été trop en retrait, mais quand j’ai vu le résultat, j’ai compris que ma performance participait à l’équilibre du film. Ensuite, il y a eu la sélection à Cannes, et depuis, je vis une aventure humaine exceptionnelle parce que je la partage avec un pote d’enfance, et avec des gens qui sont aussi devenus des potes, Damien [Bonnard] et Alexis [Manenti]. On vit quelque chose d’énorme. C’est génial d’avoir participé à ce film, qui est politique, qui est important… On le compare à La Haine, si on a la même longévité et si ce film marque l’époque, ce sera bien.
Dans quels termes Ladj Ly avait-il évoqué le projet avec vous ?
Pour le long-métrage, il m’a juste dit : “Prépare-toi, travaille ton personnage.” J’ai passé beaucoup de temps en immersion avec un flic. J’ai échangé avec lui. Ça m’a aidé à comprendre le point de vue des policiers : peut-être qu’ils aiment leur métier, qu’ils pensent pouvoir changer les choses, mais ils ne sont pas dans les meilleures conditions pour le faire. Je me suis rendu compte qu’en banlieue, ils sont constamment confrontés à la misère. Et je pense qu’ils ne sont pas assez préparés à tout ce qu’ils vont devoir encaisser. Être flic, c’est devoir peut-être annoncer la mort d’un enfant à sa famille. Ce sont des choses qui marquent. Et le rythme de travail est dingue, la plupart d’entre eux sont souvent à bout de nerfs. Bien sûr, ça ne leur donne pas le droit de tirer au Flash-Ball dans la tête d’un enfant, mais il faut reconnaître que leurs conditions de travail ne les aident pas à être disponibles pour les personnes qu’ils sont censés protéger, car n’oublions pas que leur mission est théoriquement de nous protéger.