Yannick Alléno est un homme comblé. L’un des plus grands chefs au monde a retrouvé, avec le Pavillon Ledoyen, les trois étoiles Michelin qu’il avait abandonnées en 2013 en quittant Le Meurice. À la tête d’un groupe qui s’étend de Courchevel à Marrakech en passant par Dubaï et Taipei, le cuisinier, fils de bistrotier attaché au terroir d’Île-de-France, a également été nommé cuisinier de l’année 2015 par le Gault & Millau. Mais aujourd’hui, c’est d’art qu’a choisi de discuter Yannick Alléno. Une passion qu’il partage au sein du Pavillon Ledoyen, aménagé à l’aide du galeriste Kamel Mennour et de l’architecte d’intérieur Pierre Yovanovitch. Et c’est un autre homme au sommet de son art qui a répondu à son appel. Bernard Blistène, directeur du musée national d’Art moderne, personnage cultivé, espiègle et brillant que l’on doit depuis trente ans certaines des plus belles découvertes et rétrospectives en France. Rencontre au Centre Pompidou.
Numéro : Si l’on parle d’art culinaire, la cuisine est pourtant loin d’être élevée au même rang que la peinture, la sculpture ou le cinéma. Pourquoi cette distinction ?
Yannick Alléno : On a longtemps voulu cantonner la cuisine à la sphère familiale. Pourtant, elle a atteint aujourd’hui sa maturité artistique. Pierre Gagnaire ou Alain Passard, par exemple, proposent une cuisine d’un niveau tel que l’on dépasse l’artisanat. Les grands chefs ont la pleine maîtrise de la transformation de la matière. Ils jettent une expression, un sentiment profond au sein de leurs assiettes. Et leurs réalisations suscitent autant d’émotion qu’une peinture ou une sculpture.
Bernard Blistène : Il demeure pour moi une différence essentielle entre l’art et l’art culinaire. La fonction de l’art est de questionner les choses, alors que je crois que la fonction de l’art culinaire ou de l’artisanat en général est, au contraire, de répondre à des questions, ou à des problèmes. Cela n’implique pas que j’établisse une quelconque hiérarchie entre art et artisanat dans le quotidien de mon travail. Je suis extrêmement proche des artisans de la profession. À commencer par les artistes qui doivent, comme vous le dites, maîtriser une matière, une technique ou un savoirfaire. Mais l’art doit produire de la polémique et de la critique. Je ne crois pas à cette idée que l’art puisse être le lieu de la réconciliation comme s’y essaient certaines oeuvres dites “relationnelles”. Mais peut-être la table est-elle le lieu de la réconciliation ?
“La fonction de l’art est de questionner les choses, alors que je crois que la fonction de l’art culinaire ou de l’artisanat en général est, au contraire, de répondre à des questions, ou à des problèmes.”
Bernard Blistène