Il y a eu les pionniers, Alexandre Trauner et Ken Adam : le premier a œuvré aux côtés de Luis Buñuel, Marcel Carné et Billy Wilder, le second pour la série des James Bond et Stanley Kubrick (le quartier général de Docteur Folamour, c’est lui). Décorateurs de génie – ou production designers comme on les nomme à Hollywood –, ils ont posé les jalons d’un corps essentiel du cinéma : donner une matière aux visions d’un cinéaste. Parmi leurs successeurs, Dean Tavoularis s’est imposé comme le plus précieux, précis et inventif. Son regard sidérant n’est pas étranger à la réussite de Coppola : nous lui devons les salons opaques du Parrain, les néons luminescents de Coup de cœur, la folie sauvage du labyrinthe où les personnages d’Apocalypse Now s’égarent – ainsi que les costumes des bunnies Playboy. Sa vision ne se limite pas à son domaine, elle englobe le projet dans sa totalité.
“Je joue sur un paradoxe : copier ce qui est faux pour obtenir du réalisme et convaincre les spectateurs qui ont une mémoire du passé marquée par le cinéma...”
Il a également travaillé pour Arthur Penn, Roman Polanski, Wim Wenders ou Michelangelo Antonioni, laissant une trace indélébile dans l’histoire du cinéma. Capable d’extravagance théâtrale comme de minimalisme, doué du sens du détail, matérialisant la vie courante sous la peau du film et armé d’une intuition infaillible sur la nature du récit, il est une figure de légende. Chaleureux et habité, il s’est montré à la hauteur – au-dessus des nuages, là où le regard perçoit la silhouette des mythes.
Numéro : Quand avez-vous commencé à prêter attention aux décors des films ?
Dean Tavoularis : Enfant, j’étais sensible à l’atmosphère de Frankenstein, de Dracula, des films de pirates, mais je n’avais pas conscience que c’était un véritable métier. Mon père était dans le commerce du café, et lorsque nous avons emménagé près de Los Angeles, il a eu un gros contrat avec la Fox. J’accompagnais alors mon père dans ses tournées de livraison dans les studios et nous passions devant des bouts de décors, des morceaux de monstre, je voyais ça comme un puzzle. Il n’y avait pas, comme aujourd’hui, l’obsession des making of, que je trouve ridicule : on se vante sans arrêt de la façon dont on fait ceci ou cela... On parle trop, on organise des visites touristiques, c’est comme si un magicien dévoilait tous ses trucs... À l’époque, les studios étaient aussi protégés que Fort Knox.
Vous avez commencé votre carrière en travaillant sur des dessins animés Disney. Qu’y avez-vous appris ?
Mes années passées à Disney ont fait véritablement office d’école de cinéma. Je suivais en même temps des cours d’architecture, de dessin et d’art. Mon travail pour Disney s’inscrivait dans la continuité de ma formation, mais dans le domaine du cinéma – même si l’on ne s’occupait pas de la construction réelle des décors. Ce n’est qu’après avoir été désillusionné par l’animation que je suis passé sur les décors réels – en raison probablement de ma formation d’architecte.