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Numéro
05 Avec Licorice Pizza, Paul Thomas Anderson signe le meilleur film sur le Hollywood des 70's

Avec Licorice Pizza, Paul Thomas Anderson signe le meilleur film sur le Hollywood des 70's

Cinéma

Caricature du Hollywood des années 70, romance, teen movie et autofiction… Avec son neuvième long-métrage, le réalisateur de There Will Be Blood a refusé les compromis. Il signe son œuvre la plus honnête : le meilleur film sur l'industrie du cinéma des années 70.

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© Metro Goldwyn Mayer

1/7

Voici un film qui a eu raison des plateformes. Et c’est tant mieux. Licorice Pizza (“pizza au réglisse”, en français), le neuvième long-métrage du californien Paul Thomas Anderson produit par le studio hollywoodien MGM aurait pû, depuis le rachat de la société par Amazon en mai, sortir directement sur petit écran, comme – et c’est malheureux – les derniers films de Jane Campion ou de Paolo Sorrentino (disponibles depuis peu sur Netflix). À la place, il s’invite, dès le mercredi 5 janvier, dans les salles obscures. Grâce, sans doute, à son réalisateur, que l’on sait très attaché au cinéma d’antan, à Hollywood des années 50, à la pellicule… L’occasion de renouer avec l’expérience de salle, la vraie, celle qui fait retenir son souffle à l'unisson et rire en chœur. Celle où l’on peut sentir la tension traverser la pièce et venir se cramponner à chaque siège. 

 

Licorice Pizza est un film de deux heures qui pourrait se résumer en une séquence de quelques minutes : un mélange d’insouciance, d'effronterie et de fantaisie. Deux gosses au volant d’un semi-remorque cherchent à fuir les représailles d’un producteur de cinéma timbré. Ils tombent en panne sur les collines de Los Angeles et doivent dévaler dangereusement plusieurs mètres de pente, en marche arrière, avant de se stopper net, entre une cabine téléphonique et un disquaire fermé. Une crispation puis un soulagement qui contaminent la salle tout autant que les personnages. Ils perdurent tout au long du film, au fil des rapprochements puis des ruptures qui s’opèrent entre deux jeunes amis pas encore conscients qu’ils sont amoureux. Les adolescents, Alana Kane (Alana Haim, une musicienne américaine dont de nombreux clips ont été réalisés par Paul Thomas Anderson) et Gary Valentine (Cooper Hoffman, le fils de Philip Seymour Hoffman que le réalisateur a dirigé cinq fois avant sa mort, en 2014), ont dix ans d’écart. Elle est une jeune femme de 25 ans (oui oui, une adolescente) qui peine à sortir de l’enfance, coincée chez ses parents juifs pratiquants et engluée dans un rêve de cinéma qui peine à se réaliser. Lui a 15 ans, est déjà un acteur déchu et cherche à tout prix à devenir un entrepreneur accompli et richissime. La rencontre survient dès l’ouverture du film dans le lycée du garçon. Alana est là pour assister le type chargé des traditionnelles photos de classe et Gary l’aborde tout de suite, lui faisant remarquer qu’elle répète chaque phrase deux fois. Il la quitte, lui promettant qu’il la reverra, et la laisse aux côtés du photographe véreux. Alana a aussitôt droit à une main aux fesses. Nous sommes dans les années 70. 

 

Licorice Pizza est moins un film sur la perversité et la misogynie – ce qu’on lui a d’ailleurs parfois reproché outre-Atlantique – que sur les années 70, le cinéma de l’époque et l’enfance de son réalisateur. Ici, Paul Thomas Anderson parle une langue universelle : la nostalgie. Mais pas celle qui fait chouiner. Plutôt celle qui fait regretter avec joie une époque que la plupart n’ont pas d’ailleurs pas vécu – pas même le réalisateur, qui n’était qu’un jeune enfant au moment de l’histoire. L’amour et le désir, pourtant jamais consumés (dans plusieurs scènes, Gary rêve de toucher les seins d’Alana sans pourtant jamais les effleurer), ne sont pas, dans Licorice Pizza, source de pleurnicherie. Et même si chaque personnage masculin croisé par le tandem tente de les séparer – de Joel Wachs, l’homme politique joué par Ben Safdie à William Holden, l’ex-acteur pervers qu’est Sean Penn —, on sait, parce que tout les sépare, parce que tous les deux ont des physionomies atypiques, parce qu’aux yeux des autres elle est plus attirante que lui, parce qu’ils ont dix ans d’écart et parce que c’est elle l'aînée, qu’ils finiront par s’aimer. Ça peut paraître mièvre comme ça – et parfois ça l’est –, mais la force de Paul Thomas Anderson, depuis Punch-Drunk-Love (2002), réside dans sa capacité à rendre grotesques des situations romantiques. Et vice versa.

 

Avec ses personnages rigides (Phantom Thread, There Will Be Blood), désaxés (The Master) ou burlesques (Punch-Drunk-Love, Boogie Nights), le cinéaste californien nous avait habitué à des histoires pour le moins déconcertantes. On s’attendait à ci ou ça, et puis non, il nous servait le contraire. Comme avec The Master, où une prétendue fable sur la folie se mue en une quête de reconnaissance du père. Là, Paul Thomas Anderson est clair d’emblée : Licorice Pizza sera un film léger ou ne sera pas. Aucun personnage n’est profond. Ils le sont tous ensemble. Surtout, il faut se moquer d’eux, se moquer si fort parce que ces gens, ce sont lui et qu’il n’y a rien de pire, pour un cinéaste d’auteur de plus de cinquante ans chouchou de Hollywood, que de se prendre trop au sérieux. Il se place donc à la frontière du maniérisme et du vaudeville, ridiculisant à fond des personnages tirés à quatre épingles. 

 

Dans un décor de carte postale – photo vintage et plans ultra léchés auxquels il nous a habitués – mais dans une ambiance de panier de crabe, le réalisateur de Boogie Nights (déjà un film sur une industrie des années 70, le porno) dresse le portrait de figures qu’il a sans doute haïes ou admirées, du producteur fantasque Jon Peters (Bradley Cooper) à (même si ce n’est qu’une évocation) Barbra Streisand. Il ancre son récit dans l’Amérique de Nixon à coups d’images d’époque du choc pétrolier, une crise qui se répercute sur le business, pourtant florissant, de matelas à eau de Gary. Licorice Pizza fait des détours, serpente entre le biopic, le film cent pour cent issu de l’ère post-#MeToo (avec les personnages de producteurs/gros dégueulasses) et l’autofiction. Car cette histoire d’amitié/amour ramène à chaque fois à son réalisateur. Il n’y a qu’à regarder le casting pour le constater : il fait jouer le fils de feu son acteur fétiche Philip Seymour Hoffman et filme Ben Safdie, qui s’est lui-même un peu inspiré du personnage d’Adam Sandler dans Punch-Drunk-Love pour son propre film Uncut Gems. On pourrait être fatigués qu’Hollywood s'auto-cite sans cesse et puis non, pas le temps. Pas une seconde ne passe sans que Paul Thomas Anderson nous ramène à sa captivante histoire d’amour/amitié. Voilà, c’est dit : il a réussi là où Quentin Tarantino, avec son Once Upon a Time… in Hollywood, à échoué. 

 

Licorice Pizza (2022) de Paul Thomas Anderson, avec Cooper Hoffman, Alana Haim et Bradley Cooper. En salle.