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Numéro
13 Barbara Chase-Riboud, Serpentine Gallery, Paris+ Art Basel

Rencontre intime avec Barbara Chase-Riboud, grande artiste et poétesse africaine-américaine célébrée à la Serpentine

Numéro art

Numéro art et Paris+ par Art Basel s’associent à nouveau pour copublier une rencontre intimiste avec la grande artiste et poétesse africaine-américaine Barbara Chase-Riboud. L’octogénaire, célébrée par des rétrospectives à la Serpentine de Londres et à la Pulitzer Art Foundation de Saint-Louis, revient sur son parcours qui l’a mené de Philadelphie à Paris, sur son amour de la littérature et sur ce que veut dire être une femme artiste : “la culpabilité d’avoir placé la créativité, au sens le plus noble du terme, avant la maternité.

Vue d’installation de l’exposition de Barbara Chase-Riboud « Infinite Folds » à Serpentine North, Londres, 2022. Photographie de Jo Underhill. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Serpentine. Vue d’installation de l’exposition de Barbara Chase-Riboud « Infinite Folds » à Serpentine North, Londres, 2022. Photographie de Jo Underhill. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Serpentine.
Vue d’installation de l’exposition de Barbara Chase-Riboud « Infinite Folds » à Serpentine North, Londres, 2022. Photographie de Jo Underhill. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Serpentine.

En collaboration avec Paris+ par Art Basel.

 

Avec des rétrospectives à la Serpentine de Londres et à la Pulitzer Art Foundation de Saint- Louis, aux Etats-Unis, l’octogénaire américaine Barbara Chase-Riboud installée à Paris est actuellement mise à l’honneur. Elle évoque ses voyages, l’extranéité et le « problème des ovaires ».

 

« Je crois que ces expositions jumelles de part et d’autre de l’Atlantique en disent long sur ma vie d’artiste, telle que je l’ai décrite dans les lettres que j’envoyais depuis l’Europe à ma mère restée à Philadelphie. Elle les a toutes gardées, près de 600 lettres, qui couvrent toute la période de 1957 à 1991. Je ne les ai retrouvées qu’après sa mort. Et même si, finalement, elles n’ont été publiées que 15 ans plus tard, j’avais l’impression de les avoir écrites la veille. Ces lettres représentent vraiment une nouvelle forme littéraire – ce ne sont pas des mémoires, ni un journal intime ni un carnet de voyage ou une confession. Ce sont des annotations vivantes, prises dans l’instant présent. On pourrait les qualifier de notes d’artiste, de croquis en mots ou bien d’écriture automatique, qui renferment toutes sortes de significations inconscientes ou subversives. Pourtant, je ne cherchais pas à être subversive : j’écrivais simplement à ma mère... mais je peux dater toutes mes sculptures et mes poèmes grâce à ces lettres. »

Vue d’installation de l’exposition de Barbara Chase-Riboud « Infinite Folds » à Serpentine North, Londres, 2022. Photographies de Jo Underhill. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Serpentine. Vue d’installation de l’exposition de Barbara Chase-Riboud « Infinite Folds » à Serpentine North, Londres, 2022. Photographies de Jo Underhill. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Serpentine.
Vue d’installation de l’exposition de Barbara Chase-Riboud « Infinite Folds » à Serpentine North, Londres, 2022. Photographies de Jo Underhill. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Serpentine.

« Pendant des années, j’ai séparé l’écriture de la sculpture. Je me plaisais à répéter : “J’écris ce que je ne peux sculpter et je sculpte ce que je ne peux écrire”. Je me demande d’ailleurs si ça n’est pas toujours vrai. Je lisais tout et n’importe quoi quand j’étais enfant, sous les draps, avec une lampe torche. J’aimais les écrivains russes, les longs romans historiques anglais. Maintenant que ne n’ai plus besoin de lampe torche, j’ai Richard Powell, Anna Akhmatova et Alexandre Pouchkine sur ma table de chevet, mais je ne lis jamais au lit. Je peux feuilleter un catalogue quand je suis couchée, mais pour la littérature, je préfère lire assise à mon bureau. »

Barbara Chase-Riboud à son atelier Rue Dutot, Paris, 1973. Photographie de Marc Riboud, avec l'aimable autorisation de l'artiste. Barbara Chase-Riboud à son atelier Rue Dutot, Paris, 1973. Photographie de Marc Riboud, avec l'aimable autorisation de l'artiste.
Barbara Chase-Riboud à son atelier Rue Dutot, Paris, 1973. Photographie de Marc Riboud, avec l'aimable autorisation de l'artiste.

« Je garde un souvenir très net de ma première rencontre avec l’art – c’était avec la chèvre en bronze de Rittenhouse Square, à Philadelphie. Le parc n’était pas très loin de chez nous. Petite, je m’y rendais presque tous les jours pour jouer avec les autres enfants. Cette sculpture m’a initiée au bronze. Je me souviens que cette chèvre (ou ce bouc) me paraissait très grande, mais en réalité, c’est une petite statue – de la taille d’un enfant –, un tout petit chevreau. J’ai étudié l’art à [l’école d’art et d’architecture de Philadelphie] Tyler, mais mes premières véritables expériences artistiques ont eu lieu à Rome, pendant mon séjour à l’American Academy : le Forum, le Colisée, le Vatican... puis il y a eu une escapade improvisée en Égypte, qui s’est transformée en expédition d’un mois pour remonter le Nil jusqu’à Louxor, Karnak, puis Khartoum. Et enfin, quand je me suis mariée avec [le photographe] Marc Riboud, nous avons trouvé une maison de campagne dans la vallée de la Loire – la région des châteaux, en France, du côté de Blois, Amboise et Chenonceau – et c’était un véritable musée vivant. Je crois au voyage pour tout ce qui est créativité, pas juste pour les yeux, mais pour l’âme... et aussi la compagnie. »

Vue d’installation de l’exposition de Barbara Chase-Riboud « Infinite Folds » à Serpentine North, Londres, 2022. Photographies de Jo Underhill. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Serpentine. Vue d’installation de l’exposition de Barbara Chase-Riboud « Infinite Folds » à Serpentine North, Londres, 2022. Photographies de Jo Underhill. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Serpentine.
Vue d’installation de l’exposition de Barbara Chase-Riboud « Infinite Folds » à Serpentine North, Londres, 2022. Photographies de Jo Underhill. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Serpentine.

« De toute façon, les artistes sont des extraterrestres, pas vrai ? Cette place d’étrangère permet à l’œil, à l’oreille et à la main d’être davantage sensible à la nuance et à l’inventivité... Ça vous rend plus aventureuse, plus indépendante, plus courageuse peut- être, voire téméraire, si j’ose dire ! Je pense que c’est ce que voulait dire Man Ray quand il a déclaré : “J’aime être étranger”... C’est-à-dire observer de l’extérieur, plutôt qu’être noyé dans la masse. »

 

« Qui a dit : “Une grande artiste, c’est une femme dont les ovaires ont cessé de fonctionner” ? Si ce n’est pas Louise Nevelson, alors ça doit être moi ! Le problème des ovaires, c’est la culpabilité d’avoir placé la créativité, au sens le plus noble du terme, avant la maternité... On peut aimer son travail autant que sa progéniture. Le fardeau mental du rôle de mère devrait être intégré au paysage psychique de l’artiste, sauf que l’idée même de la maternité nécessite une forme d’oubli de soi. C’est l’antithèse de l’art autocentré. Il faut faire avec, c’est tout ce que je peux dire. Aucun grand discours ne pourra jamais résoudre la difficulté d’être à la fois mère et artiste. En tout cas, ce n’est clairement pas moi qui détiens la solution. »

Vue d’installation de l’exposition de Barbara Chase-Riboud « Infinite Folds » à Serpentine North, Londres, 2022. Photographies de Jo Underhill. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Serpentine. Vue d’installation de l’exposition de Barbara Chase-Riboud « Infinite Folds » à Serpentine North, Londres, 2022. Photographies de Jo Underhill. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Serpentine.
Vue d’installation de l’exposition de Barbara Chase-Riboud « Infinite Folds » à Serpentine North, Londres, 2022. Photographies de Jo Underhill. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Serpentine.

« La vie est la plus belle des œuvres d’art, et “l’art est la seule preuve attestant de ce qui s’est passé autrefois”, selon Claude Lévi-Strauss. C’est l’une des analyses les plus provocantes – et les plus justes – que j’ai jamais lue ou entendue sur le rôle de l’art. Tout le reste n’est que rumeur. »

 

Le livre I Always Knew: A Memoir de Barbara Chase-Riboud a été publié par Princeton University Press en octobre 2022.

 

Lillian Davies vit et écrit à Paris.

 

« Barbara Chase-Riboud: Infinite Folds » Serpentine, Londres (Royaume-Uni) Jusqu’au 29 janvier 2023

 

« Barbara Chase-Riboud Monumentale: The Bronzes » Pulitzer Art Foundation, Saint-Louis (Missouri, Etats-Unis) Jusqu’au 5 février 2023

 

Cet article fait partie d'une collaboration annuelle avec Paris + par Art Basel. Il est également publié sur la plate-forme de Paris + pas Art Basel.