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Numéro
04

Les confidences de Takashi Murakami, superstar mondiale de l'art contemporain

Art

Aussi mignons qu’effrayants, les motifs qui peuplent les œuvres de Takashi Murakami, inspirés des anime et de la peinture traditionnelle japonaise, ont fait de lui une superstar mondiale. La galerie Gagosian du Bourget expose actuellement le dernier projet de l’artiste, des fresques monumentales où l’éternel jeune homme révèle encore une fois la complexité de son travail.

Portrait de Takashi Murakami dans sone exposition à la galerie Gagosian par Jean-Baptiste Mondino.

La nouvelle avait fait les gros titres partout dans le monde. En 2020, dans une courte vidéo publiée sur son compte Instagram, Takashi Murakami annonçait face caméra, l’air bien plus grave qu’à l’accoutumée, la faillite probable de sa société. La raison ? Le coût colossal de l’un de ses plus ambitieux projets à ce jour, le deuxième volet de son long-métrage Jellyfish Eyes, doublé des difficultés inédites provoquées par la pandémie de Covid-19. Une surprise pour l’une des grandes stars de l’art contemporain, que l’on imaginait prémunie contre tout échec. 

 

“Je suis un être humain stupide qui ne peut atteindre le bonheur que quand il peut réaliser ses rêves de science-fiction”, se flagellait alors le sexagénaire en commentaire, suscitant la compassion de nombreux adeptes de son travail. Avant d’expliquer vouloir ériger cette crise en exemple, et d’inciter les artistes marchant dans son sillon à rester raisonnables en mesurant les limites de leurs ambitions. Et comment ne pas prendre au sérieux le message d’un artiste touche-à-tout, chef d’une immense entreprise comprenant plusieurs centaines de salariés, dont l’œuvre aussi maximaliste que protéiforme est devenue en trois décennies une véritable marque internationale ?

Takashi Murakami, “2020 The Name Succession of Ichikawa Danjūrō XIII, Hakuen, Kabuki Jūhachiban” (détail) (2023). ©️2023 Takashi Murakami/Kaikai Kiki Co., Ltd. All Rights Reserved. Photo: Thomas Lannes

Takashi Murakami expose à la Galerie Gagosian en décembre 2023

 

Trois ans plus tard, en pleine préparation de son exposition personnelle à la galerie Gagosian au Bourget, l’artiste paraît s’être remis de ce malheureux épisode. À quelques jours du vernissage, le vaste bâtiment prend des airs de ruche : les voitures se succèdent devant l’entrée, des individus ne cessent d’aller et venir, tandis qu’à l’intérieur, les régisseurs courent à droite et à gauche, pendant que les assistants du Japonais peignent minutieusement les dernières finitions de ses peintures monumentales. Au milieu de ce décor, Takashi Murakami se montre serein, fier de présenter les dernières itérations d’une pratique aussi reconnaissable que ses supports et techniques sont nombreux. 

 

L’échantillon que l’on découvre ici est en effet éloquent : des petites peintures remplies de fleurs souriantes et de maneki-neko, ces adorables chats japonais dressant leur patte gauche ; une marguerite dessinée au mur par des néons multicolores ; des sculptures argentées à l’effigie de personnages de mangas grandeur nature ; des toiles couvertes de scènes de jeux vidéo vintage et autres figures pixelisées… Et bien sûr, clou du spectacle, quatre immenses peintures dont la hauteur atteint presque trois fois la taille d’un humain moyen, et la largeur jusqu’à vingt-quatre mètres. Sur la surface de la toile se croisent dragons, figures de la mythologie japonaise et de l’art du kabuki, ou encore les fameuses fleurs souriantes et colorées signatures de l’artiste. Qui prouve une fois de plus son goût pour la démesure, tout en rassurant les collectionneurs inquiets pour l’avenir de sa pratique...

Takashi Murakami raconte les secrets de ses chefs-d'œuvre à Elisabeth von Thurn und Taxis.

Souvent surnommé le “Andy Warhol japonais”, Takashi Murakami a, au fil de trois décennies, conquis le monde bien au-delà des frontières de son pays, mais aussi hors des carcans élitistes de l’art contemporain, au point que son œuvre colorée, kawaii (“mignonne”) et grinçante, croisant tradition japonaise et pop culture, a “contaminé” l’inconscient collectif de tous les publics. Depuis des années, elle s’expose régulièrement dans les musées et galeries, du château de Versailles en 2010 au Asian Art Museum de San Francisco actuellement, mais se décline également en figurines, peluches, pendentifs et même une édition du jeu UNO, sans parler des clips musicaux, vêtements, baskets ou encore mobilier réalisés en collaboration avec des figures parmi les plus influentes de notre époque, de Billie Eilish à Kanye West en passant par Pharrell Williams, avec qui il a réalisé une sculpture en 2009, et son label Billionaire Boys Club, avec lequel il collabore à de nombreuses reprises. Imaginées en 1995, ses iconiques fleurs sont par exemple devenues un tel phénomène marketing qu’en 2011, pour le solstice d’été, Google les a invitées sur sa célèbre page d’accueil aux côtés de quelques créatures fantastiques également imaginées par l’artiste. 

 

Takashi Murakami est l’un des artistes les plus importants au monde car son succès est confirmé à la fois par le monde institutionnel, le marché de l’art, la pop culture au sens large et les historiens de l’art, mais aussi par ses pairs”, explique le galeriste Emmanuel Perrotin, qui le coreprésente depuis 1993 avec la galerie Gagosian. L’artiste est en effet présent, entre autres, dans les collections du MoMA à New York, du Mori Art Museum à Tokyo, ou encore de la Fondation Louis Vuitton et la Collection Pinault à Paris, autant d’institutions qui lui assurent une légitimité internationale. Quant à ses records aux enchères, ils ne font qu’asseoir ce succès : en 2008, sa sculpture My Lonesome Cowboy est adjugée près de 15 millions d’euros par la maison Sotheby’s. Cheveux blonds ébouriffés, un jeune homme aux airs de personnage de manga à taille humaine y apparaît nu en train d’éjaculer, un immense jet de sperme dessinant dans les airs la forme d’un lasso. Référence au hentai, genre pornographique d’animation japonaise, l’œuvre traduit le talent de son auteur à tourner en dérision des phénomènes de société – en l’occurence le culte voué au phallus, qui génère des représentations d’un corps masculin hypertrophié. 

Takashi Murakami, photographié par Jean-Baptiste Mondino à la galerie Gagosian Le Bourget, devant son œuvre 2020 The Name Succession of Ichikawa Danjuro XIII, Hakuen, Kabuki Juhachiban (2023, acrylique et paillettes sur toile montée sur aluminium, 500 x 2 330 cm).

De fils de chauffeur de taxi à roi du monde de l’art, il y a pire comme trajectoire !” Takashi Murakami. 

 

La crise traversée par Murakami en 2020, suivie finalement par la relance de la production de son film, est une nouvelle preuve de la persévérance qui l’a guidé toute sa vie vers un succès planétaire. Né à Tokyo d’un père chauffeur de taxi et d’une mère femme au foyer, le jeune homme se passionne d’abord pour l’animation puis entame des études artistiques, dans les années 80, à une époque où l’art contemporain japonais est encore rarement montré à l’étranger et où l’économie du pays s’effondre, conduisant de nombreux artistes à abandonner leur carrière. Conscient que sa pratique sera davantage saluée aux États-Unis que dans son propre pays, l’artiste s’intéresse à la peinture d’Américains tels que Julian Schnabel et Mike Kelley, assumant complètement l’hybridation des éléments de la haute culture et de la culture de masse, ainsi qu’à l’œuvre grandiloquente d’Anselm Kiefer, qui l’incite à réaliser d’immenses peintures. Peu à peu, dans un climat relativement hostile, l’artiste constitue autour de lui une équipe qui partage son engagement et sa radicalité plastique.

 

 Proche de l’artiste, Pharrell Williams salue aujourd’hui cette détermination : “Lorsqu’on voit le processus de Takashi dans son studio et son éthique de travail irréprochable, on ne peut que se prosterner. On parle quand même d’un homme qui dort dans une tente en carton à côté de son bureau !” Aujourd’hui, la société de Murakami comporte plus de trois cents salariés, répartis dans différents départements tels que la peinture, la sculpture ou encore la vidéo. “De fils de chauffeur de taxi à roi du monde de l’art, il y a pire comme trajectoire !”, nous confie l’Américain. À l’orée du xxie siècle, Takashi Murakami crée son propre mouvement artistique, le Superflat (super-plat), d’après un néologisme inventé pour décrire son travail. 

 

Derrière ce mot, l’artiste théorise une œuvre bidimensionnelle caractérisée par l’absence de perspective et la saturation d’éléments, influencée par l’animation et la pop culture japonaise, et qui combine l’esthétique du pop art avec le kitsch de la culture kawaii et otaku – soit un véritable produit de la culture visuelle contemporaine dont les hiérarchies ont été aplaties, formellement comme symboliquement. Si ce courant fait rapidement des émules, il s’attire également de nombreuses critiques au Japon, dénonçant sa façon de “pervertir” les traditions du pays en les mêlant à des éléments kitsch, à la frontière du mauvais goût. L’artiste préfère s’en amuser : “À leurs yeux, j’étais un traître, le ‘méchant’ de la scène artistique japonaise. Mais j’ai appris à prendre ces critiques comme des compliments.” 

Portrait de Takashi Murakami dans sone exposition à la galerie Gagosian par Jean-Baptiste Mondino.

“Dans mon pays d’origine, j’étais un traître, le ‘méchant’ de la scène artistique japonaise. Mais j’ai appris à prendre ces critiques comme des compliments.” Takashi Murakami. 

 

 

Devant la seconde plus grande toile de sa carrière, accrochée actuellement chez Gagosian, on comprend que l’artiste a continué à suivre son intuition en dépit de ses détracteurs. Dans un agrégat de couleurs vives et de motifs chamarrés, presque psychédéliques, appliqués à l’acrylique et recouverts de paillettes, une dizaine de personnages de diverses dimensions attirent le regard par leurs visages grimés et grimaçants, à la fois pâles et très expressifs. Ce déploiement d’une narration picturale à l’horizontale rappelle l’art séculaire des byobu, paravents ornés de paysages et de scènes quotidiennes, tandis que les personnages dépeints portent les caractéristiques des acteurs de kabuki, art théâtral nippon lui aussi extrêmement respecté. “Face à mes représentations des acteurs de kabuki, les Japonais sont gênés. Ils ne veulent pas voir ça, alors que les Occidentaux adorent.” 

 

Toute sa carrière, Takashi Murakami n’a donc jamais craint de “profaner” des éléments sacrés de la culture asiatique en les représentant par dizaines et en les saturant de couleurs vives. Le plasticien emprunte les poissons récurrents dans les céramiques de la dynastie Yuan en Chine, reproduit les immenses dragons des œuvres de l’artiste japonais Soga Shohaku, réunit des tas de monstres du Japon ancestral, ou encore des scènes quotidiennes inspirées du nihonga, grand mouvement pictural de la fin du xixe siècle qu’il a lui-même étudié. En 2007, dans sa première exposition chez Gagosian, il dévoile même une série de portraits du sage indien Daruma, fondateur du boudhisme zen, à travers lequel il évoque “les apports culturels qui ont façonné le Japon, comme l’introduction du thé vert”, commente Serena Cattaneo Adorno, directrice de la galerie à Paris. Depuis, l’artiste inaugure d’ailleurs toutes ses expositions par une traditionnelle cérémonie du thé. 

Takashi Murakami, “Understanding the New Cognitive Domain” (2023). ©️2023 Takashi Murakami/Kaikai Kiki Co., Ltd. All Rights Reserved. Photo: Thomas Lannes.

Takashi Murakami a déjà collaboré avec Louis Vuitton et Supreme 

 

En 2002, la notoriété internationale de Takashi Murakami connaît un sursaut majeur lorsque le créateur Marc Jacobs, alors directeur artistique des collections Louis Vuitton, l’invite à repenser le monogramme iconique de la maison française. Dans la collection printemps-été 2003, les fleurs et le logo LV qui recouvrent les accessoires se parent soudainement de rose, de vert, de turquoise ou encore de vert pomme. Le succès du Monogram Multicolore est immédiat : Marc Jacobs parle d’un “mariage monumental entre l’art et le commerce” et d’un “événement à inscrire dans les livres d’histoire”, inaugurant une relation fructueuse de treize années entre le Japonais et la maison Vuitton. Mais là encore, plusieurs acteurs du monde de l’art grincent des dents et jugent cette collaboration trop commerciale, notamment lorsqu’en 2007, à l’occasion de la rétrospective Murakami au MOCA de Los Angeles, Louis Vuitton installe un pop-up store dans le musée pour y proposer des sacs inédits conçus en édition limitée par l’artiste. “Quand j’étais jeune, je ne savais pas comment j’allais pouvoir vivre de mon art, confie-t-il. J’ai donc envisagé mon activité dans la mode comme un travail à temps partiel. Et si on m’a beaucoup critiqué à l’époque pour ces collaborations, force est de constater que tout le monde peut le faire aujourd’hui.

 

On ne saurait le contredire : dans le sillon de ce projet, Louis Vuitton invite chaque année plusieurs artistes à repenser son sac Capucines, tandis que le créateur Kim Jones chez Dior Men collabore régulièrement avec des stars de l’art contemporain telles que Daniel Arsham, Hajime Sorayama et Amoako Boafo. Pendant ce temps, Takashi Murakami poursuit sur sa lancée, créant une série de skateboards avec Supreme, un modèle de montre avec Casio, des paires de Vans, de Crocs, et même des tee-shirts en collaboration avec le regretté designer Virgil Abloh. “Le fait que Takashi crée tout ce merchandising pour conquérir un public plus large est une idée de génie”, admire Pharrell Williams, qui n’a pas hésité à intégrer les créations de l’artiste dans le flagship new-yorkais de son label Billionaire Boys Club. En effet, le Japonais a profondément bousculé le marché de l’art en mettant au point un exercice d’équilibriste : produire à la fois des œuvres uniques valant plusieurs millions et ses propres produits dérivés accessibles à tous – compter 20 euros pour les autocollants, 150 pour le coussin en forme de fleur, près de 400 euros pour le sac à dos panda. Autant de produits qui attirent un tout autre public que les collectionneurs d’art contemporain, des obsédés des mangas et du kawaii aux passionnés de streetwear et de sneakers, prêts à acquérir la moindre pièce collector en édition limitée pour se démarquer. 

Takashi Murakami, “Dragon in Clouds - Indigo Blue, 2010” (detail). ©️2010 Takashi Murakami/Kaikai Kiki Co., Ltd. All Rights Reserved. Photo: Sebastiano Pellion di Persano.

“Si j’ai survécu aussi longtemps, c’est parce que j’ai la peur panique de m’arrêter. Je n’ai jamais cessé de produire des œuvres et de montrer mon travail, comme pour rappeler au monde que j’étais toujours là.” Takashi Murakami.

 

 

Chemises bariolées recouvertes de colliers en tout genre, lunettes rondes, bonnets farfelus à l’effigie de poulpes ou de son fameux ours Mr. DOB... Même dans ses tenues vestimentaires excentriques, Takashi Murakami incarne le kawaii et une bonne humeur communicative, jusqu’à adopter sur les photos une pose caractéristique : les mains en l’air, paumes face caméra, et affichant un sourire débonnaire. Dès leur rencontre au Japon, au début des années 1990, dans une foire à Yokohama, Emmanuel Perrotin se dit séduit par la personnalité de l’artiste : “Il était capable de communiquer et d’attirer l’attention de n’importe qui. Il semblait rayonner d’une énergie pure.” Pourtant, ses œuvres ne sauraient être réduites à ces connotations légères et enfantines, renfermant souvent des significations bien plus profondes – pour ne pas dire sombres. Derrière la myriade de “fleurs-smileys” identiques qui remplissent ses toiles se cache par exemple l’ombre du traumatisme collectif des Japonais, causé par les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki à la fin de la Seconde Guerre mondiale. 

 

L’artiste y critique alors la tendance des Japonais à réprimer leurs émotions derrière un sourire poli mais trompeur. Premier personnage à émerger dans l’œuvre de l’artiste, Mr. DOB incarnerait quant à lui son alter ego, tantôt joyeux et joueur, tantôt effrayant et maléfique avec son sourire carnassier. Issu du mot dobojite, qui signifie “Pourquoi ?” en argot japonais, le nom de cet ours cartoonesque en fait le symbole d’un questionnement presque philosophique sur l’existence. Quant aux vieillards grotesques aux visages hébétés et difformes de l’immense fresque The 500 Arhats (2012), large de cent mètres, ils incarnent les victimes de la catastrophe de Fukushima survenue quelques mois plus tôt, prises dans un brasier toxique. “Ce vaste panorama est le Guernica de Takashi : il a sans aucun doute marqué un tournant dans sa carrière”, affirme son galeriste parisien. Depuis cette tragédie nationale, l’artiste s’est en effet grandement interrogé sur la portée de son travail et la nécessité de le relier à l’actualité, là où les œuvres du début de sa carrière étaient le fruit d’une grande spontanéité. 

Takashi Murakami, “2020 The Name Succession of Ichikawa Danjūrō XIII, Hakuen, Kabuki Jūhachiban” (détail) (2023). ©️2023 Takashi Murakami/Kaikai Kiki Co., Ltd. All Rights Reserved. Photo: Thomas Lannes.

“Si j’ai survécu aussi longtemps, c’est parce que j’ai la peur panique de m’arrêter, explique l’artiste avec un calme olympien. Je n’ai jamais cessé de produire des œuvres et de montrer mon travail, comme pour rappeler au monde que j’étais toujours là.” Un ancrage dans son époque et ses innovations qui ne fait aucun doute dans son exposition personnelle à la galerie Gagosian, et corroboré par sa directrice : “Le dévouement de Takashi, ses efforts et son enthousiasme sont imbattables. Aucun défi ne semble trop difficile ou trop extravagant pour lui.” Ainsi, si les immenses peintures et les fleurs en néon font le bonheur des jeunes utilisateurs de TikTok, le sexagénaire s’est aussi naturellement intéressé au marché des NFT – “jetons non fongibles” –, permettant de créer informatiquement des œuvres virtuelles uniques. Le samedi de l’ouverture de l’exposition, l’artiste offrait aux visiteurs une création numérique inédite, pendant trois heures, sur simple inscription de leur adresse e-mail. Tandis qu’une peinture aux airs de frise accrochée dans une des salles célèbre les différentes figures de l’histoire économique qui ont contribué à la naissance des cryptomonnaies. À travers ces nouveaux commentaires de phénomènes extrêmement récents, et la folie capitaliste que ceux-ci entraînent, l’artiste voit un retour aux origines de son travail : “C’est comme si j’avais bouclé la boucle”, conclut-il. 

 

Au-delà de son œuvre, l’héritage que souhaite laisser Takashi Murakami passe par la transmission aux générations futures. Dès 1997, son engagement se concrétise lorsqu’il fonde la foire Geisai afin de défendre à l’international les pratiques de jeunes artistes japonais de tous horizons, et il se poursuit avec la création de sa galerie Kaikai Kiki à Tokyo, vitrine de l’art japonais contemporain depuis 2001. “Là où certains craignent la montée d’autres artistes, Takashi n’est pas comme ça, ajoute Emmanuel Perrotin. Il encourage les nouveaux talents et s’investit dans leur croissance, les aide à organiser des expositions, leur apporte des conseils, des financements, du mentorat, un réseau... En cela, il est essentiel dans le développement de l’art contemporain au Japon.” En atteste le succès de Mr., ex-assistant de l’artiste et considéré aujourd’hui comme son héritier, que Pharrell Williams a même invité il y a neuf ans à réaliser le clip de son tube It Girl. Derrière son optimisme en apparence inébranlable, Takashi Murakami surprend ainsi d’autant plus lorsqu’il évoque sans ambages sa future disparition.

 

À 61 ans, l’artiste pense déjà à l’euthanasie, prenant pour référence les samouraïs et leur suicide par hara-kiri. “Ils ont la chance de choisir comment ils meurent. C’est très beau. Alors qu’au Japon, et dans de nombreuses parties du monde, nous n’en avons pas le droit. Moi qui suis très optimiste, j’aimerais trouver la manière la plus optimiste de finir mes jours, et en décider par moi-même.” Pour l’heure, celui qui dit faire de l’art pour “préserver l’instant miraculeux de la vie” révèle sa nouvelle ambition : créer son propre jeu vidéo et la société de production qui l’accompagne. Mais lorsque l’on mentionne les Google Glass, dernier gadget du géant Google permettant de parcourir Internet dans les reflet de ses lunettes, l’artiste semble se réjouir et esquisse un grand sourire. “Quand j’en ai entendu parler, je n’en ai pas trop compris l’intérêt, je me suis dit que ça me donnerait le tournis. Et c’est là que je me suis dit : ça y est, la technologie m’a dépassé. Elle est enfin devenue hors de ma portée !” 

 

 

“Takashi Murakami. Understanding the New Cognitive Domain”, jusqu'au 22 décembre 2024 à la galerie Gagosian, Le Bourget.

 

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