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Numéro
13 Hugh Steers à la galerie David Zwirner à Paris

Qui est Hugh Steers, immense peintre du New York queer des années 80 et 90, célébré à la galerie David Zwirner ?

Numéro art

La galerie David Zwirner rend hommage jusqu’au 29 janvier 2022 à Paris au peintre américain Hugh Steers, décédé prématurément des suites du sida en 1995. L’exposition curatée par l’acteur et collectionneur britannique Russell Tovey – également à l’origine du podcast à succès Talk Art et membre du jury du Turner Prize cette année – propose une magnifique plongée dans les peintures figuratives, queer, expressionnistes et tragi-comiques de ce grand maître américain encore méconnu du grand public. Entre Goya, Hopper et Bonnard…. Russell Tovey évoque ce grand artiste avec Numéro art.

Hugh Steers, Two Chairs, 1993
Courtesy Alexander Gray Associates, New York, © 2021 Estate of Hugh Steers
Hugh Steers, Two Chairs, 1993
Courtesy Alexander Gray Associates, New York, © 2021 Estate of Hugh Steers
Hugh Steers, Two Chairs, 1993
Courtesy Alexander Gray Associates, New York, © 2021 Estate of Hugh Steers

Numéro art : D’où vous vient votre passion pour la peinture de Hugh Steers ?

 

Russell Tovey : J’ai été acteur toute ma vie si bien que je suis naturellement attiré par les personnages, les corps, leur langage, leurs actions, les expressions du visage… Hugh Steers est un maître de la mise en scène des corps. Ses peintures capturent des moments intimes, des moments entre hommes, des moments suspendus – des entre-deux – que nous prenons pour acquis ou auxquels on ne fait pas attention. Il y a quelque chose de très théâtral dans sa manière de placer et positionner les corps de ses personnages. Ce n’est pas un hasard si Hugh était si fasciné par les spectacles drag dans le New York des années 80. Lorsque vous regardez ses peintures, c’est comme si vous étiez le témoin d’une scène que vous n’auriez pas dû voir. Chaque corps agit comme s’il n’y avait pas de public. Hugh vous donne la permission de rester avec eux. C’est une expérience unique. Je crois qu’il n’a jamais vraiment trouvé l’amour. C’est comme s’il avait peuplé ses scènes de personnages qui font attention les uns aux autres pour donner vie à ce besoin d’amour. Je suis fasciné, aussi, par sa capacité à créer des scènes déroutantes. L’histoire n’est jamais tout à fait claire. Sommes-nous avant ou après l’action ? Chacun peut projeter sur son travail sa propre expérience, son propre vécu.

 

Hugh Steers, Blue Towel, Red Tank, 1988
Courtesy Alexander Gray Associates, New York, © 2021 Estate of Hugh Steers
Hugh Steers, Blue Towel, Red Tank, 1988
Courtesy Alexander Gray Associates, New York, © 2021 Estate of Hugh Steers
Hugh Steers, Blue Towel, Red Tank, 1988
Courtesy Alexander Gray Associates, New York, © 2021 Estate of Hugh Steers

Comment avez-vous découvert son travail, encore méconnu en France ?

 

Russell Tovey : En tant que collectionneur, j’ai toujours défendu les artistes queer, historiques ou contemporains. Pour ce qui est de la photographie, je pense à Wolfgang Tillmans, Peter Hujar, Nan Goldin... Étant moi-même homosexuel, ma vie privée a été traversée par les mêmes questionnements. Je me souviens de mon coming out à 18 ans, de ce que cela pouvait avoir de terrifiant. Parmi ces artistes, certains ont exploré la peur qu’impliquait de vivre avec le sida. Et cela m’intéressait en tant que part importante de l’histoire de notre communauté. Nous ne pouvons aller de l’avant si nous ne regardons pas le passé. Étrangement, Hugh Steers était resté en périphérie pour moi. J’ai vraiment découvert son travail grâce à l’artiste britannique David Robilliard pour qui j’ai une véritable obsession. Robert Robilliard et Hugh Steers sont morts tous les deux des suites du sida. Ils avaient le même âge. Être diagnostiqué séropositif dans ces années-là équivalait à recevoir une sentence de mort. Mais ils parvenaient pourtant à canaliser leur anxiété et leurs peurs à travers leur créativité. Comment avais-je pu passer à côté de Hugh Steers toutes ces années ? Cela me paraît incroyable tant je l’ai dans la peau aujourd’hui. Il est sans conteste l’un des grands peintres figuratifs américains. On a très longtemps négligé les artistes queer, ils n’étaient pas aussi recherchés qu’aujourd’hui lorsque j’ai commencé à collectionner. Et cela avait quelque chose de choquant en réalité. Mais aujourd’hui que les canons de l’histoire de l’art sont repensés – grâce à des expositions comme celle de Hugh Steers par exemple, la figuration queer actuelle est regardée avec un plus grand intérêt. Je pense à des artistes comme Louis Fratino, Salma Toor, Doron Langberg… Tous travaillent à l’élaboration de nouveaux récits tout en assumant leurs références aux grands maîtres historiques. Leur art change les choses et ouvre de nouveaux espaces pour une nouvelle génération, et pour plus de diversité. 

Hugh Steers
Fallen Armoire, 1990
Oil on paper
14 7/8 x 11 1/4 inches (37.7 x 28.6 cm)
Framed: 20 3/4 x 16 3/4 inches (52.8 x 42.7 cm)
Hugh Steers
Fallen Armoire, 1990
Oil on paper
14 7/8 x 11 1/4 inches (37.7 x 28.6 cm)
Framed: 20 3/4 x 16 3/4 inches (52.8 x 42.7 cm)
Hugh Steers
Fallen Armoire, 1990
Oil on paper
14 7/8 x 11 1/4 inches (37.7 x 28.6 cm)
Framed: 20 3/4 x 16 3/4 inches (52.8 x 42.7 cm)

Hugh Steers, lui-même, s’inscrit dans une histoire de l’art et de la figuration qui va des grands peintres américains, Edward Hopper ou Thomas Eakins, aux Français comme Pierre Bonnard…

 

Russell Tovey : Hugh Steers, comme Louis Fratino et Salman Toor aujourd’hui, regardait les anciens, la peinture européenne, en assumant ses sources. Tous rendent ces grands maîtres à nouveau contemporains. Grâce à ces peintres, nous redécouvrons l’histoire de l’art. Quand vous regardez une peinture de Hugh Steers, vous voyez du Bonnard, la manière dont Bonnard par exemple adorait le lit, son architecture, ses significations. Il s’agit d’un motif parmi les plus évocateurs historiquement. Vous y retrouvez aussi la solitude et la lumière des peintures d’Edward Hopper, cette impression que les personnages sur la toile partagent un même espace mais pas forcément la même temporalité. Chez Hopper, aussi, la question se pose : l’action vient-elle de se produire ? Ou est-elle sur le point de se produire ? 

Installation view, Hugh Steers: Blue Towel, Red Tank, David Zwirner, Paris, 2021
Photo: Claire Dorn
© Estate of Hugh Steers
Courtesy Alexander Gray Associates, New York
Installation view, Hugh Steers: Blue Towel, Red Tank, David Zwirner, Paris, 2021
Photo: Claire Dorn
© Estate of Hugh Steers
Courtesy Alexander Gray Associates, New York
Installation view, Hugh Steers: Blue Towel, Red Tank, David Zwirner, Paris, 2021
Photo: Claire Dorn
© Estate of Hugh Steers
Courtesy Alexander Gray Associates, New York

Les peintures de Hugh Steers semblent aussi vaciller entre la tragédie et la comédie…

 

Exactement. On y retrouve des thèmes universels comme l’amour, la peur, la solitude. Mais Hugh avait un grand sens de l’humour. On trouve par exemple dans son œuvre une célébration du côté camp de la communauté homosexuelle. Les hommes qu’il peint peuvent porter des talons hauts. Les moments érotiques eux-mêmes ne sont pas dénués d’humour. Il y a un dessin, Fallen Armoire, que j’aime beaucoup dans l’exposition : un personnage est allongé sur le sol, une armoire lui est tombée dessus. Un autre protagoniste le regarde mais reste impassible. L’effet comique est saisissant malgré l’aspect tragique de la situation. Hugh Steers semble aussi s’amuser autour de l’expression “sortir du placard”. Vous vous battez pour sortir du placard quand vous êtes gay, et finalement ce placard finit par vous tomber dessus. Et le monde vous observe sans même vous aider. La tragédie de la vie est absurde.  

 

More Life: Hugh Steers, Blue Towel, Red Tank, à la galerie David Zwirner, Paris. Jusqu'au 29 janvier 2022.

Hugh Steers, Mouse and Bowl, 1988
Courtesy Alexander Gray Associates, New York, © 2021 Estate of Hugh Steers
Hugh Steers, Mouse and Bowl, 1988
Courtesy Alexander Gray Associates, New York, © 2021 Estate of Hugh Steers
Hugh Steers, Mouse and Bowl, 1988
Courtesy Alexander Gray Associates, New York, © 2021 Estate of Hugh Steers