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22

Pourquoi les scream queens des films d'horreur nous fascinent autant

Cinéma

Alors que Sydney Sweeney a été qualifiée de scream queen pour son rôle de religieuse dans le film Immaculée, sorti au cinéma cette semaine et que Neve Campbell reviendra bientôt dans la saga Scream, retour sur la figure de la "reine du hurlement", cette héroïne de film d'horreur qui est loin d'être une simple victime.

Sydney Sweeney dans Immaculée (2024) © Capelight pictures OHG.

Pour certains, Scream Queens (2015-2016) désigne simplement la série satirique et horrifique créée par Ryan Murphy et diffusée sur Disney+ qui met en scène Emma Roberts, Keke Palmer et Lea Michele. Mais comme la final girl (dernière survivante d'un slasher, ce film mettant en scène un tueur éliminant une à une ses victimes), la scream queen est une figure majeure du cinéma d'horreur.

 

La scream queen, une figure majeure du cinéma d'horreur

 

Les scream queens ou "reines du hurlement" (un jeu de mots faisant allusion aux screen queens) sont des héroïnes de films d'épouvante poursuivies par le grand méchant de l'histoire. Elles sont donc, une grande partie du long-métrage, pourchassées, effrayées, en détresse et en train de pousser des cris stridents qui doivent sembler le plus réalistes possible. Bizarrement, cette figure fascinante est apparue dès le cinéma muet, dans les années 20. Mais on considère généralement que l'actrice Fay Wray est la première vraie scream queen en raison de son rôle de femme prisonnière d'un gorille amoureux d'elle dans King Kong (1933).

Jamie Lee Curtis dans Halloween, La Nuit des masques (1978) © Splendor Films.

La malédiction des actrices de films d'horreur

 

Dans les années 50 et 60, quelques actrices sont connues pour leurs cris, notamment les héroïnes des films d'Hitchcock. Mais ce sont surtout les années 70 et 80 qui ont été particulièrement riches en scream queens. Dans les films de séries B, elles apparaissent comme des victimes à la fois dévêtues et fragiles (notamment psychologiquement). Ce sont souvent des bimbos qui sont des proies faciles car elles ne font généralement pas preuve de beaucoup de malice face au monstre ou au tueur qui les poursuit. 

 

Marilyn Burns (Massacre à la tronçonneuse), Sandra Cassel (La Dernière Maison sur la gauche), Brinke Steven (Fête sanglante), Olivia Hussey (Black Christmas), l'héroïne de giallos Daria Nicolodi (la femme de Dario Argento et mère d'Asia Argento, une autre reine du hurlement) et Linnea Quigley (Le Retour des morts-vivants) font partie des scream queens les plus remarquées de ces années-là. Certaines actrices avaient aussi des vies tragiques, ce qui faisait écho à leurs rôles dans ces films d'horreur. Linda Blair, star du film culte L'Exorciste (1973) de William Friedkin a vu carrière brisée à cause de son arrestation en 1977, alors qu'elle n'avait que 18 ans, dans une affaire de drogue. Hollywood ne lui pardonnera jamais véritablement son écart de conduite. Les scream queens seraient-elles victimes d'une malédiction ? 

 

L’actrice américaine Shelley Duvall a trouvé le tournage de Shining (1980) de Stanley Kubrick si intense, qu'elle va mettre des années avant de retourner des films. 

 

Jamie Lee Curtis, la reine des scream queens des années 70 et 80

 

Mais si on ne devait retenir qu'une scream queen de cette période-là, ce serait l'actrice américaine Jamie Lee Curtis (qui joue dans Halloween : La Nuit des masques en 1978, Fog (1980) et Le Bal de l'horreur (1980)), fille de Janet Leigh qui criait déjà beaucoup dans le film Psychose (1960) d’Alfred Hitchcock. Avec son physique androgyne et son charisme, Jamie Lee Curtis va totalement réinventer l'image de la scream queen pour lui donner plus d'épaisseur, d'intelligence et de force. Alors que le tout premier Halloween (1978) est jugé sexiste (car les femmes tuées sont les filles jugées "faciles"), l'actrice va défendre bec et ongles son personnage, rappelant que celui-ci se bat contre le terrifiant Michael Myers. Il s'agit donc d'une femme puissante.

 

En 2018, alors qu'elle joue dans un énième volet d'Halloween, Jamie Lee Curtis confie au journal 20 Minutes à propos de son personnage de Laurie Strode : "Laurie est une femme forte qui a a tenté de préparer sa fille et sa petite-fille au retour de Michael sans parvenir à les convaincre." L'héroïne de True Lies (1994) ajoute même : "À l’heure de #MeToo, les femmes se font enfin entendre et Laurie est emblématique de leur lutte. Je ne veux pas que mon personnage puisse être considéré comme une victime." Revers de la médaille des performances musclées de l'actrice dans la peau de la courageuse Laurie Strode ? Elle va longtemps être affiliée à son image de reine du hurlement avant de diversifier sa palette de rôles et de remporter, en 2023, l'Oscar du meilleur second rôle féminin pour son rôle de contrôleuse fiscale dans la comédie Everything Everywhere All at Once.

Neve Campbell dans Scream 4 (2011) © SND.

Neve Campbell et les héroïnes de la saga Scream : des figures de plus en plus féministes

 

Dans les années 90, un vrai changement s'opère concernant l'archétype de la scream queen. Si à ses débuts, elle apparaît comme cette petite chose fragile, souvent désarmée (au sens propre comme au littéral), la décennie Buffy va révolutionner la donne. Ce sont dans ces années-là que des héroïnes hurleuses mythiques telles que Laura Palmer (de Twin Peaks) de David Lynch ou celles du film Souviens-toi… l'été dernier (1997) avec Sarah Michelle Gellar et Jennifer Love Hewitt émergent.

 

Mais le revirement de situation est surtout en grande partie dû aux héroïnes de la sage Scream (dont le premier volet est sorti en 1996). Certes, le fait que ce soit les filles qui ont une vie sexuelle et se rendent à des fêtes qui meurent en premier dans cette série de films cultes peut sembler sexiste. En effet, comme dans presque tous les slashers, la final girl (dernière survivante), parvient à s'en sortir car elle reste vierge et "innocente". Mais la saga compense ces préjugés misogynes en proposant des personnages bien plus denses que ceux de simples victimes sexy vêtues de mini jupes et buvant plus que de raison. 

 

C'est le cas de la badass Neve Campbell qui incarne Sidney Prescott. Une héroïne inspirante qui se défend vaillamment, attaquant le tueur avec une arme et lui répondant de manière sarcastique. On se souvient encore tous de ce dialogue entre l'actrice de The Craft et Ghostface : 

"- Tu es toute seule dans cette grande maison ?
- T’as rien trouvé de plus original ? Là, franchement, tu me déçois, Randy.
- Peut-être parce-que je ne suis pas Randy."

 

On peut aussi citer Courteney Cox, l'héroïne de Friends, qui joue le rôle d'une journaliste à scandale tout sauf écervelée, combative et endurante. Plus récemment, on a vu dans Scream 6 (2023) deux nouvelles scream queens téméraires et astucieuses : Jenna Ortega, la star de la série Mercredi et Melissa Barrera (Carmen) en phase avec une nouvelle génération qui chérit le girl power. Il faut noter que la saga Scream montre bien d'autres reines du hurlement iconiques, même si certaines jouent avec les clichés de la pin-up : Drew Barrymore, Rose McGowan ou encore Sarah Michelle Gellar

Jenna Ortega dans Scream (2022) © Paramount Pictures Germany.

Jenna Ortega, Anya Taylor-Joy, Mia Goth... une nouvelle génération inspirante d'héroïnes de films d'horreur

 

Aujourd'hui, la figure de la scream queen semble moins superficielle qu'elle ne l'a été des années 20 aux années 70, même si on peut lui reprocher son manque de diversité. En effet, l'héroïne de film d'horreur presque toujours mince et blanche, en dehors des longs-métrages de Jordan Peel et de quelques exceptions (Jada Pinkett Smith dans Scream 2).

 

Parmi les reines du hurlement qui ont le plus marqué les esprits ces dernières années, beaucoup affichent des beautés étranges, en phase avec l'univers gothique de certains réalisateurs. C'est le cas d'Anya Taylor-Joy (The Witch, Last Night in Soho), Mia Goth (Suspiria, X, Pearl), Jenna Ortega (Insidious: Chapter 2, Scream 6).

 

Les autres stars des genres cinématographiques sanglants ? On pourrait citer Sarah Paulson (American Horror Story), Lupita Nyong’o (Little Monsters, Us), Victoria Pedretti (The Haunting of Hill House), Riley Keough (Kiss of the Damned), Emma Roberts (Scream 4, American Horror Story, Scream Queens), Melissa Barrera (Scream 6, Abigail), Allison Williams (M3GAN, Get Out), Samara Weaving (Wedding Nightmare) ou encore Chloë Grace Moretz (The Amityville Horror). 

 

Même Sydney Sweeney, l'héroïne d'Euphoria, a été qualifiée de scream queen pour son rôle de religieuse dans le film Immaculée, sorti au cinéma cette semaine. La preuve que cette figure est de plus en plus plurielle mais toujours aussi fascinante.

 

Dans tous les cas, les héroïnes de films d'horreur ne sont plus des victimes passives. Armées, féroces et souvent névrosées, elles tiennent tête aux vilains du grand écran. On peut voir dans cette évolution de l'archétype de la scream queen un symbole des contestations qui ont agité le milieu du cinéma et la société. Le cri de ces héroïnes n'est plus celui de biches effrayées, entièrement sous le joug de la domination masculine et du male gaze. C'est aussi celui de femmes qui ont porté la voix pour se faire entendre, notamment avec les prises de parole s'inscrivant dans le mouvement #MeToo. Un cri de rage, de guerre, de ralliement... Et de liberté.

 

Immaculée (2024) de Michael Mohan, avec Sydney Sweeney, actuellement au cinéma.